Macky Sall ou le leadership anachronique

Le succès du programme économique de tout dirigeant arrivant à la tête d’un pays, comme le Sénégal – inséré à la périphérie du système-monde capitaliste-  dépend certes de la pertinence de son projet, mais également de l’environnement international. C’est-à-dire des orientations et des options en cours au centre du système (Etats-Unis, Europe occidentale, Japon). C’est un aléa sur lequel, les marges de manœuvre endogènes des « pays en développement » sont limitées. Il peut être favorable ou défavorable. Nous appellerons cet impondérable : « la chance de la gouvernementalité[1] à la périphérie ». De ce point de vue, le président Abdou Diouf n’a pas eu de « chance ». Il est arrivé au pouvoir en pleine « révolution néolibérale » incarnée par les personnalités telles que le président américain Ronald Reagan, la Première ministre du Royaume-Uni Margareth Thatcher et le président de la Réserve fédérale américaine Alan Greenspan. Ils ont procédé au démantèlement des États-providence, dérégulé les marchés du travail, promu le secteur privé plus précisément les multinationales. Leur politique de l’offre et le monétarisme qu’ils ont promu ont entrainé des casses sociales importantes.

À la périphérie, notamment en Afrique et Amérique du Sud, ces politiques ont été déclinées sous la férule de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) en ce qu’on appelle ajustement structurel. Au Sénégal, sous Abdou Diouf, cela s’est traduit par la privatisation d’entreprises publiques, la réduction des dépenses publiques, la suppression des subventions, la dévaluation de la monnaie, la réforme du secteur financier, des départs « volontaires » de la Fonction publique, une paupérisation plus accentuée,  la quasi-disparition de la classe moyenne, hausse du chômage, une augmentation des inégalités sociales et une détérioration des conditions de vie. Le Président Diouf a gouverné dans cet environnement socio-économique. Sa « malchance de la gouvernementalité périphérique » a été paradoxalement l’occasion d’un progrès du point de vue de la démocratie et de l’État de droit. Cela n’a pas été un progrès linéaire et la trajectoire n’a pas été un long fleuve tranquille. Mais elle est sans commune mesure avec ce que nous avons vécu avec le Président Macky Sall. Certes, Abdoulaye Wade qui incarnait l’opposition à Diouf pendant près de deux décennies a fait trois séjours en prison. Mais à cumuler ceux-ci, leur durée est de moitié inférieure au séjour carcéral d’Ousmane Sonko et de deux tiers à celui de Bassirou Diomaye Faye.

La « chance de la gouvernementalité périphérique » a plutôt souri aux présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall. Depuis le tournant des années 1990-2000, le néo-consensus de Washington qui a remplacé celui qui a scellé les premiers programmes d’ajustement structurel a permis de « donner un visage humain » au néolibéralisme. Ainsi, l’Initiative PPTE (Pays Pauvres très Endettés) mise en place par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale en 1996 a permis à partir de 2001 de sortir d’une longue période d’austérité. Grâce à l’Initiative PPTE, le Sénégal a pu réduire sa dette extérieure, libérer des ressources pour investir dans des secteurs prioritaires tels que l’éducation, la santé, les infrastructures et améliorer la soutenabilité de sa dette à long terme. Cela a contribué à stimuler la croissance économique et permis de progresser pour atteindre les objectifs de développement durable.

Le Président Macky Sall est de tous les chefs d’État qui se sont succédé à la tête du Sénégal, celui qui a eu le plus de « chance dans la gouvernementalité périphérique ». Il est arrivé au pouvoir dans un contexte de boom économique mondial stimulé par la demande de la croissance économique chinoise. Des cours du pétrole peu élevés, un taux d’endettement bas, une surabondance de liquidités sur les marchés financiers du fait des taux d’intérêt parfois négatifs dans les pays riches. Et le changement de paradigme des Institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international) désormais favorables aux financements d’infrastructures et à la mise en place d’embryons d’État-social a été une aubaine pour élargir sa clientèle politique.

Le contexte aurait dû faire de Macky Sall, le président du progrès de la démocratie et de l’État de droit. Il en a décidé autrement. Méprisant les changements et les ruptures dans la société sénégalaise, Il a voulu ramener le pays à l’ère de glaciation senghorienne (1963-1968). Pour utiliser une métaphore mathématique, on dira que le président Sall est la preuve par l’absurde, que le leadership dépend des circonstances. Un bon leader doit avoir le sens de l’Histoire ! Espérons que le prochain président en aura !

[1] La gouvernementalité est un concept créé par Michel Foucault qui désigne la rationalité propre au gouvernement de la population, et dans de nombreux cas, auto-imposé.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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